C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.Arthur Rimbaud
Rimbaud avait 16 ans quand il écrivit ce poème en octobre 1870. La guerre franco-allemande commencée le 19 juillet et marquée par l'humiliante capitulation du 3 septembre se déroulait à une vingtaine de kilomètres de son lieu de résidence d'alors.
Dans un poème où l'auteur montre déjà une très grande maturité et une maîtrise parfaite de la versification, il peint un soldat mort au milieu d'une nature omniprésente et accueillante, et suscite notre indignation ou notre tristesse contre ce sort injuste.